Les Echos du Réseau – Le Brésil face au Covid-19 - Une tribune de M. Patrick SABATIER

  • M. Patrick SABATIERDirecteur des relations institutionnelles de L’Oréal Brésil
Quand on pense au Brésil, il est souvent préférable de regarder le film plutôt que de s’arrêter sur la photo instantanée.
M. Patrick SABATIERDirecteur des relations institutionnelles de L’Oréal Brésil
Quand on pense au Brésil, il est souvent préférable de regarder le film plutôt que de s’arrêter sur la photo instantanée.
M. Patrick SABATIERDirecteur des relations institutionnelles de L’Oréal Brésil

Parler du Brésil par temps de pandémie n’est pas un exercice facile… En parler sans idéologie, sans politisation, sans subjectivité et de la façon la plus factuelle possible s’avère également un exercice complexe dans ce contexte, mais absolument nécessaire.

Le monde vit une crise extraordinaire au sens littéral du terme et le COVID19 après la Chine et l’Europe a désormais touché de plein fouet les Amériques. Au Brésil, cette crise connaît trois facettes: politique, sanitaire et économique. On peut également observer, avec une certaine satisfaction, que d’un point de vue social et sécuritaire le Brésil n’a pas connu l’embrassement que certains prévoyaient.

Concernant la dimension politique, qui est la plus médiatisée internationalement, il est important de voir au-delà de l’écume des jours sans fin ou nous observons des joutes oratoires incessantes entre Exécutif, Législatif et Judiciaire, entre pouvoir exécutif fédéral  et celui des États. Pour pouvoir tenter de poser un diagnostic qui résiste au lendemain peut être faut il couper le son.

À date, on constate que la séparation des pouvoirs fonctionne. Chacun, au vu de la Constitution brésilienne, a un rôle déterminé. On peut bien sûr citer  l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire. Mais il est aussi important de rappeler les pouvoirs important des États et des Municipalités inscrits dans la Constitution de la République Fédérative Brésilienne et qui ont été confirmés par la Cour Suprême en matière de gestion de la crise sanitaire. Et le tableau ne saurait être complet sans souligner le 4ème pouvoir, celui des médias dont l’audience a augmenté durant cette crise, voire le 5ème pouvoir des réseaux sociaux et de l’opinion très vocaux.

Afin de donner un exemple de cette démocratie en exercice malgré des relations souvent très  conflictuelles entre les pouvoirs, le pouvoir exécutif a confirmé il y a quelques semaines la libération de l’aide extraordinaire des États votée par le Congrès.

Le Brésil n’est pas un long fleuve tranquille et il ne l’a jamais été. Depuis que je connais ce pays (c’est à dire depuis 1987), les seuls présidents élus à avoir terminé l’ensemble de leurs mandats sont Fernando Henrique Cardoso et Luis Ignacio Lula. Ces dernières années ont été marquées par la plus grande crise économique de l’histoire du pays, née d’une crise éthique et de corruption sans précédent (le fameux scandale du Lava Jato) et débouchant sur une profonde crise politique (avec l’impeachment de Dilma Rousseff). Mais la démocratie brésilienne  est restée debout et il ne devrait pas en être différemment aujourd’hui.

En matière sanitaire, le Brésil est officiellement rentré très tôt en confinement. Quand le Brésil est majoritairement entré en isolement social mi-mars on comptait ce jour-là 23 nouveaux cas. Pour mémoire quand la France a déclaré le confinement sensiblement à la même date il y avait plus de 1000 cas nouveaux.

Le Brésil n’a pas encore vu se stabiliser les courbes du COVID19. On a désormais dépassé 40.000 décès au Brésil (soit 25% de plus qu’en France alors que la population brésilienne est 3 fois plus nombreuse).

La gestion sanitaire (qu’il s’agisse de mesures d’isolement, de lockdown ou d’assouplissement) est de la compétence des États et des Municipalités. Dans ce pays continent de la taille de l’Europe la situation diffère fortement du Sud où la crise semble passée au Nord ou l’alerte est maximale.

Dans un pays émergent où un pourcentage non négligeable de la population dépend pour vivre de rémunération quotidienne et habite dans des conditions précaires le confinement est une gageure et le taux d’isolement social  est de fait resté limité (actuellement oscillant de 33% à 46% en fonction des États).

Après 3 mois d’isolement et de fermeture des commerces non essentiels, on observe des réouvertures progressives et graduelles de commerces. C’est déjà le cas dans le Sud ou le Centre Ouest mais aussi dans diverses parties du Brésil et notamment dans les États de Rio de Janeiro ou de São Paulo alors que la crise sanitaire n’est pas encore totalement stabilisée.

Ces trois mois d’économie confinée pour privilégier la santé sont arrivés dans un moment où le Brésil, après la réformes des retraites, allait s’atteler à des réformes administrative et fiscale clés et à un agenda de privatisations et concessions. Pour faire face à la crise le Congrès et le Gouvernent ont privilégié une série de mesures destinées à la sauvegarde de l’emploi   (favorisant  le chômage partiel et les diminutions des horaires de travail), des PME et des populations les plus défavorisées. C’est au total près de 10% du PIB qui fait l’objet de ce budget de guerre. Le Ministre de l’Economie et des Finances monétariste et libéral a renoncé temporairement à la rigueur budgétaire adoptant des mesures  keynésiennes.

Afin de s’assurer que les ressources mises à disposition parviennent aux entreprises un Programme National d’Appui aux Micro et Petites Entreprises (Pronampe) susceptible de toucher 5 M d’entreprises est par exemple mis en place avec l’apport d’un fond de garantie de R$ 16 Milliards couvrant les pertes des banques.

Le PIB a reculé de près de 6% en mars et les prévisions d’un consensus du marché parlent d’un recul de plus de 6% en 2020 et d’une reprise de 3.5% en 2021. Les points noirs sont bien entendu liés au front du chômage où le Ministère de l’Economie a enregistré près d’un million de demandes d’assurance chômage en mai 2020. Le taux d’endettement public qui s’approche de 100% du PIB est également un sujet de préoccupation.

On accompagnera l’évolution du risque Brésil et du R$ qui a été très chahuté sur les marchés du fait bien sûr d’une tendance “naturelle” des devises des émergents en période de crise mais aussi du fait des pressions sur le prix du baril et des matières premières et des soubresauts politiques locaux. Ces derniers jours la devise brésilienne avait repris des couleurs et le Trésor brésilien a émis deux nouvelles obligations sur les marchés internationaux pour un montant total de 3,5 Mds USD sur lesquelles les investisseurs se sont précipités.

Dans un contexte local plus complexe on suivra avec intérêt la capacité du Congrès et du Ministère de l’Economie et des Finances de poursuivre l’agenda de réformes structurelles (réforme administrative et fiscale) que le Président de la Chambre des Députés a décrit comme étant encore plus nécessaire. On suivra également l’agenda de concessions et de privatisations qui pourrait offrir décotes et opportunités d’investissements en matière d’assainissement, de transport ou d’énergie.

En matière de microéconomie, il existera également des opportunités sur ce marché à faible liquidité pour qui investira afin de gagner des parts de marché de forme organique ou via croissance externe.

Au Brésil, pays où comme l’a si bien dit Pedro Malan ex Président de la Banque Centrale et ex Ministre de l’Economie et des Finances, même le passé est incertain le New Normal le sera tout autant. Mais on ne doit pas oublier qu’il s’agit d’un grand marché de consommation avec 200 Millions d’habitants, qui a également les principales réserves d’eau de la planète, une matrice énergétique unique et qui est le 1er producteur mondial de soja, le second de fer et sera vraisemblablement le 6eme producteur de pétrole dans les 10 ans.

Quand on pense au Brésil, il est souvent préférable de regarder le film plutôt que de s’arrêter sur la photo instantanée. C’est à cet exercice de mise en perspective que cette Tribune prétend apporter sa modeste contribution.